Amaury Foucher obtient son premier rôle au cinéma dans La Pampa, réalisé par Antoine Chevrollier. Le film raconte l’amitié entre Jojo (Amaury Foucher) et Willy (Sayyid El Alami), deux garçons passionnés de moto-cross. Mais la révélation du secret de Jojo vient bouleverser leur quotidien, les entraînant vers une tragédie.
Inspiré par des cinéastes tels qu’Andrea Arnold et André Téchiné, notamment dans leur façon de représenter la ruralité, les classes populaires et l’homosexualité, Antoine Chevrollier signe un film déjà largement récompensé en festivals. La Pampa s’inscrit ainsi dans un cinéma de territoire en plein essor en France.

ATTENTION SPOILER + CONTENU SENSIBLE : Cet article parle du suicide et contient des révélations sur l’intrigue du film. En cas de difficultés ou de rupture familiale, des associations comme Le Refuge ou SOS homophobie sont là pour offrir écoute et soutien, que ce soit en ligne ou par téléphone.
Qu’est-ce qui t’a amené à faire du cinéma ?
Mes débuts, très jeune, au théâtre de la paroisse locale m’ont donné le goût de jouer. Voir la fierté de mes parents, surtout celle de mon père, a été un sentiment très fort. Ce jour-là, je me suis dit : « Putain, j’aimerais faire ça toute ma vie. » Alors j’ai continué le théâtre à l’école.
Je n’ai jamais passé de castings plus jeune, car je pensais que c’était un milieu très fermé, où il fallait nécessairement connaître la bonne personne, être né dedans. J’ai donc poursuivi les cours de théâtre tout en faisant des études de droit. À la fin de ma licence, je me suis dit que le monde brûlait, alors autant suivre mon rêve. C’est là que je me suis inscrit en école de théâtre.
Comment as-tu décroché le rôle de Jojo dans La Pampa, ton premier rôle au cinéma ?
En cherchant du travail en figuration, je suis tombé sur une annonce de casting sur Facebook : ils recherchaient un homme « viril et sensible ». À l’époque, je travaillais comme game master dans un escape game. Après avoir envoyé une vidéo, j’ai rapidement rencontré la directrice de casting. Deux jours plus tard, le réalisateur Antoine Chevrollier a voulu me voir, et une véritable relation de travail s’est installée.
J’ai passé dix call-backs, mais dès le deuxième il savait que c’était moi. Il voulait simplement me tester un peu sous pression. La Pampa, c’est donc à la fois mon tout premier casting et mon premier film — une aventure qui m’a mené jusqu’à Cannes, à la Semaine de la Critique, et même sur le plateau de Quotidien.
Comment décrirais-tu ton jeu d’acteur ?
J’ai une approche du jeu qui s’apparente au method acting. Pour m’imprégner du personnage de Jojo, j’écoutais régulièrement du rap, j’ai modifié ma démarche pour la rendre plus arrondie, et j’ai même appris à faire de la moto. Tout cela a créé un rapport intime, presque personnel, qui me permettait d’incarner le personnage en permanence pendant le tournage, même dans les moments d’attente ou pendant les changements techniques, comme les focales.
Au cinéma, il y a cette continuité, cette immersion constante, alors qu’au théâtre, une fois la représentation terminée, tout s’arrête.
Quel est ton rapport avec le personnage de Jojo ?
Bien que je n’aie pas grandi en milieu rural, contrairement à Jojo, j’ai moi aussi grandi en tant que jeune queer, avec les dangers et les difficultés que cela implique. Au collège, à Paris, un camarade était harcelé parce qu’il était homosexuel. Cette expérience m’a très vite appris à dissimuler ce que je ressentais pour les garçons. J’ai ainsi mené une forme de « double vie » en grandissant : vivre mes expériences d’un côté, tout en cachant publiquement mon orientation sexuelle. Ce qui est intéressant, c’est que Jojo fait la même chose, mais de façon plus radicale encore, en raison de l’univers hyper-masculin dans lequel il évolue, où la moindre once de féminité est proscrite.
Dans La Pampa, Jojo finit par se tirer une balle dans le cœur, ce qui a paradoxalement été quelque chose de très thérapeutique pour moi. Symboliquement, c’était comme d’éliminer les parties de moi qui détestaient cette « déviance » sexuelle quand j’étais plus jeune, cette différence qui faisait que je ne me sentais pas proche de la plupart de mes camarades. C’est comme si je l’avais laissée partir. Par procuration, cet acte m’a permis de régler des soucis internes que j’avais.
En parlant de cette scène, la mort de Jojo m’a interpellée. Il y a beaucoup de critiques qui sont faites sur les récits où les personnages LGBT+ finissent systématiquement par disparaître de manière tragique. Quid d’un happy ending pour Jojo ?
C’est vrai que, dans l’histoire du cinéma, les récits queer-coded ont souvent été marqués par deux éléments fondamentaux : la représentation du sida et la fatalité. Le sida a été un fléau qui a profondément marqué nos existences et nos imaginaires. Quant à la fatalité, elle s’enracine dans le fait que les personnes homosexuelles ont longtemps été considérées comme des citoyens de seconde zone. Leurs histoires ont donc souvent pris une tournure tragique : fuir sa famille, ou fuir sa propre vie en se donnant la mort.
Ces expériences, et l’image que la société s’en faisait, ont nourri notre imaginaire collectif pendant des décennies. Logiquement, le cinéma et les arts en ont été le reflet, traduisant et interprétant les mœurs de l’époque. Dans cette continuité, La Pampa reproduit à sa manière le trope du « Bury Your Gays ». Mais l’histoire récente du jeune Luca, qui s’est suicidé après avoir été harcelé pour son orientation sexuelle, nous rappelle une chose essentielle : même si, dans les milieux militants, l’on a l’impression que la société a beaucoup progressé et que nos existences sont davantage reconnues, dans la vie quotidienne, la réalité est bien plus nuancée.
Antoine veut faire un cinéma qui parle de sa région, de l’endroit où il a grandi. Il cherche à représenter la réalité avec intransigeance. Une fin heureuse pour Jojo, ce serait mignon à la rigueur… mais son secret aurait tôt ou tard été révélé, entraînant son exclusion totale d’un environnement où sortir du lot n’est pas accepté. Le happy ending était donc impossible. Même s’il avait gagné la course et qu’il était parti à Paris, Jojo n’aurait pas nécessairement trouvé sa place : il ne connaît pas ce monde-là. Être gay ne le rend pas automatiquement compatible avec les bobos du 11e arrondissement.
Dans un monde idéal, dans un futur meilleur — si l’on croise les doigts et que la société ne continue pas de s’enfoncer dans la direction qu’elle semble prendre —, un garçon qui aime les garçons pourrait s’en sortir grâce au motocross ou à toute autre passion. Mais nous sommes encore loin de ce monde parfait. C’est pourquoi il reste nécessaire de raconter des histoires traversées par la tragédie : elles reflètent la réalité de trop de jeunes queers dans différents milieux.
Au final, toute représentation est bonne à prendre. Jojo peut servir de catharsis pour d’autres, qui se sentent eux aussi acculés par un entourage qui ne les accepte pas. Il y a quelque chose de libérateur dans le fait de ne pas se sentir seul en voyant des films comme Les Amours imaginaires, Les Roseaux sauvages ou La Pampa, même si ces représentations ne sont pas toujours positives. En tant qu’homosexuel, on peut être confronté très jeune à des situations plus dures et plus adultes que celles que connaissent les hétérosexuels. Dès lors, des séries comme Heartstopper, où tout le monde est beau et bienveillant, peuvent sembler complètement hors-sol et déconnectées de la réalité. Il ne faut pas chercher à normaliser trop vite des réalités qui ne le sont que dans certains milieux urbains. Les choses doivent se faire par étapes. La Pampa adopte un parti pris violent, certes, mais qui traduit une violence encore beaucoup trop présente aujourd’hui.
Quelle a été ta scène préférée du film ?
La scène qui m’a le plus marqué est celle de la confrontation avec le père, une fois que l’homosexualité de Jojo a été révélée au grand jour. C’était la plus difficile à tourner, à la fois émotionnellement et techniquement, puisque j’étais sur une moto. Nous l’avons rejouée quatre ou cinq fois et, à chaque prise, je tremblais encore un quart d’heure plus tard. J’ai réellement ressenti le rejet et la violence de la situation.
Ce moment dit beaucoup de choses sur mon personnage, notamment à travers la figure du père, davantage préoccupé par le qu’en-dira-t-on que par le bien-être de son fils. Le rapport à la mère est tout aussi révélateur : sa première réaction est de demander à Jojo comment il a pu « faire ça » à son père. Cela interroge aussi la place des personnages féminins dans un univers patriarcal, qui est l’un des propos du film.
Comment avez-vous réussi à créer la complicité, qui crève l’écran, entre les personnages de Jojo et de Willy ?
Antoine nous avait envoyés en repérage à Saumur avant le tournage, en mode : « je vous prends un billet de train et après vous vous débrouillez ». On est arrivés, et en bons Parisiens, on s’est installés quatre heures en terrasse sur la place du village pour boire un café. Sauf qu’on était dimanche, et qu’il n’y avait qu’un seul bus pour rejoindre notre destination donc on a dû faire du stop pour rejoindre notre gîte. Avant ça, Antoine nous avait prévenus : « Vous vous détestez ou vous vous adorez, je m’en fous. En tout cas, il faut qu’il se passe quelque chose. » Finalement, l’amitié qui est née sur ce tournage, et qui perdure encore aujourd’hui, est la chose la plus forte qui ait pu se créer.
Il y a eu quelque chose de très naturel dans notre entente. Comme nos personnages se connaissent depuis l’enfance, une connexion tacite s’est installée entre nous. Je suis très bavard, alors que Sayyd est plus réservé. Sur le tournage, j’étais surexcité, je parlais tout le temps. On avait loué une voiture à Sayyd — puisqu’il a le permis — pour qu’il puisse m’emmener un peu partout. Un jour, il devait me conduire d’un point A à un point B, une vingtaine de minutes de trajet. Et là, sans un mot, on est restés à écouter de la techno minimaliste. C’était tacite, j’avais compris qu’il avait besoin de silence. Il y avait une vraie évidence dans notre capacité à se comprendre sans parler.
Quel est le message que le film cherche à transmettre ?
Antoine veut se détacher de la représentation bourgeoise de la ruralité, en tendant vers un cinéma où on laisse les personnes qui savent raconter leurs histoires. Dans La Pampa, Axelle Fresneau, qui joue la petite sœur de Willy, et Marlon Hernandez, qui joue un second rôle, sont tous deux de Saumurois. Pour moi, la morale du film se résume à une phrase de Victor Hugo : « Aucune société n’est irrémédiable, aucun moyen âge n’est définitif. Si épaisse que soit que soit la nuit, on aperçoit tous une lumière ». La morale de La Pampa, c’est une invitation au voyage. Si tu as grandi quelque part où tu te sens rejeté, part, va ailleurs, bouge explore ailleurs quitte à vivre en galère, au moins tu vivras heureux. Au-delà de l’homosexualité, si tu te sens limité dans l’environnement dans lequel tu as grandis, ouvre-toi à un autre horizon.
La Pampa joue aussi sur la force de l’empathie. Le but du film n’est pas de prêcher aux convaincus, mais à « l’équipe d’en face ». Les homophobes, où les fermés d’esprit, tu peux les choper par l’empathie, c’est quelque chose qu’on partage tous en tant qu’êtres humains, au-delà de nos croyances et de ce qu’avec quoi on a grandi qui font qu’on est homophobe et dans le rejet de la différence, quand tu vois qu’une personne souffre tellement qu’elle met fin à ses jours ça te touche, peu importe qui tu es. C’est aussi pour ça qu’il y a cette finalité-là, c’est aussi pour éduquer, à sa petite échelle.
Quelle a été la réception de La Pampa en ruralité ?
On a fait 200 000 entrées, ce qui est vraiment très honorable pour un premier film. Antoine a grandi dans une ville proche de Saumur, où nous avons organisé trois avant-premières le même jour, tant l’attente était forte. Les habitants étaient fiers de voir un réalisateur issu de leur région. À chaque projection, il y a eu une standing ovation et beaucoup d’émotions, car le film faisait écho à des histoires vécues.
Aujourd’hui, l’homophobie en milieu rural reste un véritable fléau. Il est nécessaire de sortir les squelettes du placard pour espérer avancer et s’en libérer.
Dans un entretien, tu as évoqué le rôle politique, voire pédagogique du film. Est-ce que pour toi c’est important de jouer dans des films engagés ? Et as-tu également envie d’explorer le cinéma de genre ?
À bon entendeur : j’adorerais jouer dans un film d’horreur. Passer mes journées à crier, avoir peur, avec du sang et du vomi partout… franchement, ça me plairait énormément. Plus sérieusement, le cinéma n’est pas encore ce qui me fait vivre aujourd’hui. Pour m’en sortir financièrement, je suis serveur, game master… Mon but reste de vivre du cinéma, mais je préfère poser les bases d’une carrière solide, construite autour d’histoires et de personnages qui résonnent vraiment avec moi. Je préfère continuer à faire différents petits boulots et attendre de vrais projets qui me parlent, plutôt que d’accepter n’importe quel rôle juste pour travailler.
Ma mère me répète souvent de ne pas m’enfermer dans un rôle, mais j’ai envie de m’investir dans des personnages qui racontent quelque chose qui me parle. Dans le contexte actuel, cela signifie souvent incarner des personnages gays. C’est parfois limitant, car une fois ton homosexualité affirmée à l’écran, tu es souvent réduit à cela. Or, les films auxquels j’aimerais participer seraient ceux où les personnages sont gays, mais où leur sexualité reste secondaire, pas le centre du récit. Par exemple : un détective marié à un homme, mais avant tout… un excellent détective. Nos existences doivent être représentées de manière plus diversifiée. Parmi les lesbiennes, gays, trans et bis, il y a autant de personnalités variées que chez les hétéros : des gens bien, des connards, des héros, des anti-héros. Le cinéma a encore besoin de le montrer.
Des réalisateurs comme Xavier Dolan ont critiqué les prix spécifiquement dédiés aux films queer, tels que la Queer Palm, qu’il a qualifiés de récompenses ghettoïsantes. Quel est ton point de vue à ce sujet ?
La Queer Palm reste perçue comme une sous-catégorie : on est avant tout récompensés pour le sujet. Il y a donc une forme de ghettoïsation, une communautarisation qui fait que nous ne sommes pas considérés comme le mainstream. Mais, après tout, on peut très bien avoir la Palme d’or à Cannes et la Queer Palm.
Le fait que les personnes queer s’organisent, fassent front et construisent une histoire collective — ou, du moins, des récits qui nous rassemblent — n’est pas une mauvaise chose. Au contraire. On manque cruellement d’unité au sein même de la communauté (mais franchement, les T.E.R.F peuvent se casser). Il existe encore beaucoup de débats internes, alors que nous aurions besoin d’arguments communs, d’une voix unie, pour obtenir de véritables évolutions législatives et sociétales.
Les artistes ont cette responsabilité : raconter des histoires et tenir ce front. Des plateformes comme la Queer Palm facilitent justement cela. En définitive, je suis plutôt pour, surtout qu’on a eu la chance d’être en compétition… (rires).
Quel est ton regard sur l’évolution des films queer dans le cinéma français ?
En France, on a la chance d’avoir un système magnifique qu’il faut absolument protéger. Il permet de produire des films qui ne font pas forcément beaucoup d’entrées, mais qui racontent des histoires essentielles. Parmi les exemples récents, on peut citer Les Reines du drame d’Alexis Langlois — un réalisateur incroyable, dans la lignée de l’Américain John Waters — ou encore L’Air de la mer rend libre, qui raconte l’histoire d’un homosexuel français d’origine algérienne contraint d’épouser une femme pour dissimuler son orientation.
Le problème, c’est que l’on fait de très beaux films queer, mais qui restent trop souvent réservés à une niche. Prêcher les convaincus ne sert à rien : cela maintient le monde hétérosexuel à distance de nos existences, au lieu de l’y inclure. Un film comme La Pampa prend davantage en compte la réalité sociale, tandis que Les Reines du drame (que j’adore, et que j’ai vu trois fois) est très spécifique à la pop-culture des années 2000, avec des références et des blagues qui ne parleront pas forcément à n’importe quel spectateur hétéro qu’on emmènerait en salle. Je pense que le cinéma queer français peut évoluer en racontant davantage d’histoires où l’homophobie, le rejet et le coming out ne sont plus systématiquement au centre du récit.

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